L’industrie électronique française, autrefois florissante, s’est progressivement éteinte au fil des décennies, au point que la quasi-totalité des composants et produits électroniques proviennent désormais d’Asie. Ce déclin s’explique par plusieurs facteurs, allant de décisions économiques et politiques à la montée en puissance des nations asiatiques. Cet article explore en détail les raisons de cette disparition et l’hégémonie actuelle de l’Asie, en examinant les erreurs stratégiques, les opportunités manquées et les défis à relever pour une éventuelle renaissance.
Jusqu’aux années 1980, la France disposait d’un secteur électronique dynamique, incarné par des entreprises innovantes comme Thomson, Alcatel, Bull, et la Radiotechnique (devenue une filiale de Philips). Ces entreprises développaient des composants, des semi-conducteurs, des équipements audiovisuels, des télécommunications et même des ordinateurs.
Le gouvernement français, conscient de l’importance stratégique de l’électronique, avait mis en place des politiques industrielles ambitieuses avec des investissements massifs dans l’électronique et l’informatique. Le Plan Calcul, lancé en 1966 par le Général de Gaulle, visait à développer une industrie informatique nationale capable de rivaliser avec le géant américain IBM. Ce plan a permis la création de la Compagnie Internationale pour l’Informatique (CII), qui a ensuite fusionné avec Honeywell-Bull.
Le Minitel, lancé en 1982, précurseur d’Internet, a été un symbole de la réussite technologique française. Il a permis à des millions de Français de se familiariser avec les services en ligne et a créé un écosystème d’entreprises de services télématiques. La France était à l’avant-garde dans ce domaine, avec un réseau performant et des usages diversifiés.
Avec la fin des années 1980 et l’entrée dans les années 1990, l’ouverture à la mondialisation et les politiques de privatisation, encouragées par l’Union Européenne, ont profondément modifié le paysage industriel. L’État français, qui avait longtemps soutenu financièrement ces entreprises, s’est progressivement retiré, estimant que le marché devait réguler le secteur.
Les nouvelles exigences économiques, dictées par une concurrence mondialisée de plus en plus féroce, ont entraîné des délocalisations massives. La main-d’œuvre asiatique, moins coûteuse et plus flexible, a attiré les industriels européens, qui ont commencé à sous-traiter une part croissante de leur production en Chine, en Corée du Sud et à Taïwan.
La France, comme d’autres pays européens, souffre d’un coût du travail élevé. Les charges sociales, les taxes et les obligations réglementaires (normes environnementales, sécurité du travail) ont rendu la production nationale moins compétitive face aux pays asiatiques, où ces coûts sont nettement inférieurs.
En Chine, le gouvernement a mis en place des zones économiques spéciales (ZES) dès les années 1980, comme celle de Shenzhen. Dans ces zones, les entreprises étrangères ont bénéficié d’exonérations fiscales, de subventions massives, d’infrastructures modernes et d’une main-d’œuvre abondante et peu coûteuse. De leur côté, les industriels français ont dû composer avec une rigidité administrative, une fiscalité souvent perçue comme un frein et un droit du travail plus protecteur pour les salariés.
Un autre élément clé du déclin de l’électronique française réside dans la forte fiscalité sociale qui pèse sur les entreprises. Les charges sociales élevées, les impôts sur la production et les réglementations complexes découragent non seulement les entrepreneurs nationaux mais aussi les investisseurs étrangers. De nombreuses entreprises préfèrent ainsi s’installer dans des pays où le cadre fiscal est plus avantageux et plus stable, ce qui entraîne une fuite des capitaux et des talents vers des marchés plus attractifs comme les États-Unis ou l’Asie.
Cette situation a contribué à l’affaiblissement progressif du tissu industriel français et à la désindustrialisation massive de secteurs stratégiques comme l’électronique. Le manque d’investissements a freiné l’innovation et la modernisation des outils de production, aggravant le retard technologique de la France.
Contrairement à la Corée du Sud ou au Japon, qui ont bâti leurs succès sur des stratégies industrielles solides et planifiées sur le long terme, la France a manqué de vision à long terme pour son industrie électronique. L’État français a souvent privilégié des industries traditionnelles comme le BTP, l’énergie ou l’aéronautique (avec des succès comme Airbus et Dassault), délaissant l’électronique, considérée comme moins stratégique.
Alors que la Silicon Valley aux États-Unis bénéficiait d’un écosystème technologique dynamique et de financements massifs de la part de fonds de capital-risque, la France n’a pas su attirer suffisamment d’investisseurs pour soutenir son industrie électronique. L’électronique demande des capitaux colossaux pour la recherche et le développement (R&D), et les entreprises françaises ont souvent manqué d’audace pour innover et prendre des risques.
Depuis les années 1990, la Chine est devenue l’atelier du monde grâce à sa main-d’œuvre bon marché, à des politiques industrielles agressives et à des investissements massifs dans les infrastructures. Les entreprises chinoises comme Huawei (télécommunications), Xiaomi (smartphones), Lenovo (ordinateurs) et BYD (batteries) sont aujourd’hui des leaders mondiaux.
De leur côté, Taïwan et la Corée du Sud ont su s’imposer grâce à des stratégies de spécialisation et d’innovation.
L’Asie bénéficie d’un écosystème industriel complet et intégré verticalement, ce qui lui confère un avantage compétitif décisif :
Cet écosystème permet aux entreprises asiatiques d’avoir un contrôle total sur la chaîne d’approvisionnement, de réduire les coûts de production, d’optimiser les délais de fabrication et de proposer des produits à des prix imbattables. La proximité géographique des différents acteurs facilite également la coordination et l’innovation.
Les gouvernements asiatiques ont mis en place des politiques protectionnistes en favorisant leurs propres industries par le biais de subventions massives, de commandes publiques, de barrières douanières et de réglementations favorables.
À l’inverse, l’Europe, et la France en particulier, a souvent adopté une approche plus libérale, laissant entrer des produits étrangers sans imposer de barrières tarifaires suffisantes, ce qui a contribué à la disparition de ses propres industries électroniques. La concurrence déloyale, notamment le dumping (vente à perte pour éliminer la concurrence), a également joué un rôle important.
Face à la dépendance croissante à l’Asie, en particulier à la Chine, et aux risques géopolitiques, l’Union Européenne tente de relancer une industrie des semi-conducteurs sur son sol. Le Chips Act européen, adopté en 2023, vise à investir 43 milliards d’euros dans la production locale de semi-conducteurs, avec pour objectif de doubler la part de marché de l’Europe dans ce secteur d’ici 2030.
Des entreprises comme STMicroelectronics (franco-italienne) ou Soitec (française, spécialisée dans les matériaux semi-conducteurs) essaient de résister et de se développer, mais la route est longue et semée d’embûches. Elles doivent faire face à la concurrence des géants asiatiques et rattraper le retard technologique accumulé.
Avec les tensions géopolitiques croissantes, notamment entre les États-Unis et la Chine, et la crise des semi-conducteurs qui a durement frappé l’industrie automobile et d’autres secteurs, de plus en plus de voix s’élèvent pour rapatrier la production en Europe et regagner une certaine souveraineté technologique.
La France pourrait tirer son épingle du jeu en misant sur les technologies de pointe comme l’électronique quantique, l’intelligence artificielle (IA), les nouveaux matériaux, la photonique et les biotechnologies.
Facteurs | France (déclin) | Asie (succès) |
Coût du travail | Élevé (charges sociales, taxes) | Faible (Chine), compétitif (Corée, Taïwan), main d’œuvre flexible |
Investissements | Faibles et inconstants, financements privés limités, frilosité des banques | Massifs et soutenus par l’État, fonds de capital-risque importants, investissements privés massifs |
Stratégie industrielle | Absence de vision à long terme, changements fréquents de priorités, manque de coordination, soutien insuffisant à l’électronique, délocalisations encouragées | Planification et protectionnisme, plans quinquennaux (Chine), stratégies nationales à long terme, soutien aux industries stratégiques, investissements dans les infrastructures et la R&D |
Écosystème | Fragmenté, manque de synergies entre les acteurs, perte de savoir-faire | Intégré et performant, concentration des acteurs, chaîne d’approvisionnement complète, collaboration entre entreprises, universités et centres de recherche |
Innovation | Insuffisante, manque de culture du risque, fuite des cerveaux, R&D limitée | Forte, culture de l’innovation, nombreux brevets et avancées technologiques constantes, investissements massifs en R&D |
Fabrication de semi-conducteurs | Très limitée (STMicroelectronics, Soitec), dépendance aux importations | Domination mondiale (TSMC, Samsung, UMC, SK Hynix), production de masse, technologies de pointe |
Fiscalité | Lourde, complexe, instable | Avantageuse dans les ZES (Chine), incitations fiscales pour les investisseurs étrangers |
Formation | Manque d’ingénieurs et de techniciens spécialisés | Formation massive d’ingénieurs et de techniciens, universités et centres de formation spécialisés |
Culture du risque | Faible, échecs stigmatisés | Développée, prise de risque encouragée, culture entrepreneuriale forte |
Protectionnisme | Faible, ouverture aux importations | Fort, barrières tarifaires et non tarifaires, soutien aux industries nationales |
Exemples d’entreprises | Thomson (démantelée), Alcatel (absorbée par Nokia), Bull (en difficulté), Radiotechnique (Philips), STMicroelectronics, Soitec | Huawei, Xiaomi, Lenovo, BYD (Chine), TSMC, UMC, Foxconn, Pegatron (Taïwan), Samsung, LG, SK Hynix (Corée du Sud), Sony, Panasonic, Toshiba, Murata Manufacturing (Japon) |
Le déclin de l’industrie électronique française est le résultat d’une combinaison de facteurs : des décisions politiques discutables, un manque de vision stratégique à long terme, une concurrence asiatique agressive et bien préparée, et un environnement économique et réglementaire peu favorable. Alors que la Chine, la Corée du Sud et Taïwan ont su bâtir des géants technologiques grâce à des stratégies nationales ambitieuses et un soutien sans faille de leurs gouvernements respectifs, la France a perdu son savoir-faire, ses compétences et sa compétitivité, se retrouvant largement dépendante des importations asiatiques.
Toutefois, face aux tensions géopolitiques croissantes, à la crise des semi-conducteurs et à la prise de conscience de la nécessité d’une souveraineté technologique, une lueur d’espoir apparaît. La relance de l’électronique française est un défi immense, mais pas impossible, à condition d’adopter une véritable stratégie industrielle ambitieuse, cohérente et soutenue dans la durée, d’investir massivement dans la R&D et l’innovation, de créer un écosystème favorable et de coopérer activement au niveau européen.
Le chemin est long et difficile, mais l’enjeu est crucial pour l’avenir économique, industriel et stratégique de la France et de l’Europe. La France a des atouts à faire valoir, notamment dans les technologies de pointe, et peut encore jouer un rôle important dans l’industrie électronique mondiale si elle fait les bons choix et se mobilise collectivement.
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